Tables de prestige au 18ème: cachez cette bouteille que je ne saurais voir …

Bouteilles anciennes de table

En regardant quelques toiles françaises du 18ème siècle, on s’aperçoit assez vite que les bouteilles étaient rarement posées, bien visibles, sur les tables prestigieuses.

Dans le riche et très élégant « Déjeuner d’huîtres » peint par J.-Fr. de Troy en 1735, les bouteilles sont soit mises au frais dans une desserte munie de deux compartiments à glace en étain, soit laissées à terre ou sur la cheminée lorsqu’elles sont vides. Une seule bouteille est sur la table : celle dont un des convives fait sauter le bouchon, que l’on voit d’ailleurs en pleine ascension au-dessus de la table ! Les autres bouteilles passent dans les mains des convives qui se servent de vin de champagne.

D’une manière générale, chez Lancret, Autreau ou Mercier, les bouteilles visibles sont également celles qui passent dans les mains des convives pour le service – quitte à reposer un instant sur la table lors d’un échange galant  – comme dans « Le goût » de Ph. Mercier (1750), reproduit sur la couverture du livre de J.-R. Pitte (voir biblio).

Les bouteilles qui figurent sur ces toiles de la 1ère moitié du 18ème sont généralement des champenoises typiques, assez bien représentées et fidèles aux modèles datés que l’on connaît par les trésors des caves des grandes maisons :

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Photo site INRAP

Ces bouteilles – qui nous intéressent tant aujourd’hui – n’avaient donc manifestement pas leur place au milieu des raffinements de la table peinte par de Troy (et autres) ! De la même manière, l’ouverture des huîtres, évidemment confiée à un domestique, se fait-elle en contrebas de la table, à hauteur du mollet d’un convive … les choses ordinaires hors de la vue des invités !

Pour sa part,  J.-S. Chardin a peint de nombreuses natures mortes montrant une bouteille, une timbale d’argent, un couteau et quelques aliments : fruits ou pain … les œuvres datent souvent du deuxième quart du 18ème et les bouteilles sont du même type que celles de Lancret ou de Troy. Mais « Au retour du marché » (1739), une scène animée du même Chardin, nous montre deux bouteilles – une vide et l’autre encore pleine et bouchée … reléguées au sol et posées à terre au pied d’une dresse. Cette fois, la scène se passe pourtant en cuisine … mais même là les bouteilles sont vouées au second plan !

Chardin_retour-marche_1739

J.-Fr. Lépicié nous achève littéralement en représentant, dans « Les apprêts du déjeuner », une bouteille d’un modèle mi-18ème, toujours reléguée au second plan et servant cette fois … de bougeoir !

Lépicié_1735_1784

Traversons la Manche pour constater qu’une fois encore les choses sont différentes en Angleterre : en 1730, Gawen Hamilton peint les frères Clarke et d’autres gentilshommes qui dégustent du vin autour d’une table sur laquelle sont posées, bien en vues, deux belles bouteilles, parfaitement conformes à ce que l’on sait des productions anglaises de cette époque … faut-il y voir un souci de commodité bien anglais par opposition à l’élégance raffinée et très codifiée de la France?

Tableau de Gawen Hamilton

 

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