250 ans de bouteilles à Champagne !

Bouteilles de champagne françaises

Voici donc une farandole de bouteilles à champagne, d’un âge compris entre 1730/40 et 1999 …

Et voici les mêmes, numérotées de 1 à 9, pour un examen plus approfondi :

champenoises_numérotées

Les numéros 7, 8 et 9 ne posent aucun problème de datation :

(7) est une bouteille de Brut Impérial de Moët et Chandon, millésime 1889, avec son étiquette d’origine: poids 1030 gr, hauteur 31 cm

(8) est une bouteille de Brut Belle Époque de Perrier-Jouët, 1989: poids 869 gr, hauteur 30 cm

(9) est une bouteille de Brut Palmes d’Or de Nicolas Feuillatte, 1999: poids 874 gr, hauteur 30 cm

Revenons-en maintenant aux numéros 1 à 6 (de gauche à droite, voir cliché numéroté ci-dessus), que voici à nouveau (sur ce cliché, seules les bouteilles n°1 à 5) :

Bouteilles françaises

La bouteille n°1, à gauche, est une bouteille assez légère, de 714 grammes pour une hauteur de 25,5 cm et un rapport hauteur totale sur hauteur du fût (9 cm) élevé, de 2,8. Le fût tronconique inversé présente de nettes vagues concentriques de tassement. Le cul présente une marque en disque (« disc pontil« ). Le col est très caractéristique, évasé et marqué par une bague de col basse et très robuste, fort comparable au col des bouteilles du « Déjeuner d’huîtres » de J.-Fr. de Troy (voir mon post sur les Tables de prestige au 18ème). Le verre est de couleur olive ambré tirant sur le brun. La dernière photo montre la bouteille couchée, comme celles qui le sont sur le tableau de Chantilly :

Sur la base du tableau de J.-Fr de Troy, j’attribuerais à cette bouteille le même âge que celui du tableau, c’est-à-dire environ 1735. A noter que le parallèle que je propose ici me paraît beaucoup plus convaincant (forme générale, panse, col très typique) que celui proposé par J.-R. Pitte, 2013. La bouteille de vin: histoire d’une révolution (voir biblio), dans ses planches 24 et 26 …

La bouteille n°2 a déjà été présentée en photo sur ce blog mais je la détaille un peu plus ici. Il s’agit d’une bouteille de forme un peu similaire à la précédente mais beaucoup plus massive et lourde: 964 grammes. Sa hauteur est de 25,5 cm pour une hauteur de fût de 9,5 cm et donc un rapport hauteur totale sur hauteur de fût de 2.6. Le fût tronconique inversé présente des vagues concentriques de tassement, comme celui de bouteille n°1. Le cul présente aussi une marque en disque (« disc pontil« ). Le col est robuste et marqué par une bague de col un peu plus haute que sur la bouteille précédente et de section nettement triangulaire. Verre olive, assez clair et transparent.

Ce type de bouteilles est daté de la 2ème moitié du 18ème siècle par J.-R. Pitte dans la Cave de Joséphine (voir biblio), cat. n°15, illustré p. 24. C’est une datation que je rejoins (vers 1760 ou un peu après) dans ma propre chrono-typologie, présentée dans ce blog (voir mon post « Datation des bouteilles françaises »).

La bouteille n°3 peut paraître surprenante pour une champenoise … c’est une bouteille robuste dont le fût est relativement bas (12,5 cm) et tronconique non inversé, surmonté par un long col.  Hauteur totale de 29.5 cm pour un rapport hauteur totale sur hauteur du fût de 2,4. Poids toujours élevé, de 923 grammes. Cul rentrant avec une marque cylindrique (« disc pontil« ). Bague de col annulaire fine. Verre vert olive, tirant légèrement sur le brunâtre.

Ce n’est pas une bouteille que j’aurais a priori considéré comme une champenoise … si le catalogue de 1809 de la verrerie de Dioncq-Lenglé à Dunkerque (voir la Cave de Joséphine, en biblio) ne m’y avait fortement incité:

Bouteilles champenoises

Donc, document à l’appui, peut-être bien une champenoise dunkerquoise, du début du 19ème siècle!

Les bouteilles n°4, 5 et 6 sont des bouteilles de type champenoises assez classiques, toutes probablement 19ème.

La bouteille n°4 est une bouteille de 28 cm de haut, pour 826 grammes. Le verre est torsadé et la bague de col est assez basse et annulaire, épaisse. Cul remontant de 6,5 cm, « nu » (« bare pontil« ), avec un reste de graphite (?). Verre vert olive, quelques irisations de surface à la base.

La bouteille n°5 est une bouteille de 29 cm de haut, pour 1010 grammes! Le verre est très lisse et la bague de col est très haute et épaisse, quasiment fusionnée à l’ouvrant de la bouteille. Cul remontant de 7 cm, « nu » (« bare pontil« ), avec un fort reste de graphite (?). Verre brun ambré.

Enfin, la bouteille n°6 est une bouteille de 29 cm de haut, pour 948 grammes! Le verre est légèrement « fripé » et la bague de col est basse et de section presque parfaitement quadrangulaire, sur un col resserré et fin. Cul remontant de 5,5 cm, « nu » (« bare pontil« ), avec un  reste de graphite (?), assez épais. Verre vert olive, sombre.

Pour être franc, il est difficile d’être sûr à 100% que les bouteilles présentées ci-dessus (surtout les n° 3 à 6) ont effectivement toutes été soufflées pour contenir du champagne. Mais plusieurs caractéristiques vont bien dans ce sens: catalogue de verrerie pour la n°3 (la plus inattendue, selon moi …), forme typique, col robuste et poids élevé pour les autres. La n°4, plus petite et assez légère, pourrait aussi être une bouteille à Bourgogne …

Et pour finir, à toute bouteille de « bulles » son verre … voici une jolie flûte de verre soufflé et taillé, datant sans doute de la 1ère moitié du 19ème siècle (hauteur: 20,5 cm) … Santé!

7 réponses à “250 ans de bouteilles à Champagne !”

  1. Avatar de ADAM
    ADAM

    Belle brochette de Champenoise, j’ai aussi un doute sur la N° 3 que j’aurai pris pour une bouteille de Bourgogne, mais vu ton document ce serait bien une bouteille de Champagne, il est dommage que ce document ne représente pas de dessin de bouteille de Bourgogne, pour voir la différence entre les deux modèles. Je pense pour ce qui me concerne, ce n’est bien sur qu’une hypothèse qu’il n’y avait pas de différence entre la bouteille de Champagne et la bouteille de Bourgogne, il serait intéressant d’avoir un modèle de chaque de la même époque.

    1. Avatar de Thierry De Putter

      Oui c’est vraiment difficile et les documents comme celui de Dunkerque sont trop rares! Je pense aussi que bouteilles à Bourgogne et à Champagne sont difficiles à distinguer – sauf que … la pression que doit supporter une bouteille à Champagne est considérable, et donc l’épaisseur et le poids restent un indice. Mais oui, on aimerait vraiment avoir plus de dessins/gravures montrant ce qui servait à quoi, au 18ème et même au début du 19ème …

      1. Avatar de COLLARD JEROME
        COLLARD JEROME

        Je nettoie pas mes bouteilles 18 eme à l’interieur,si j’ai la chance de les trouver pur jus.Plus rare,et un jour si cela n’est pas possible aujourd’hui,par son contenu ( cépage pinot noir grenache etc …)nous saurons la provenance.

        1. Avatar de Thierry De Putter

          Oui, c’est possible en effet mais je pense que le coût des analyses restera longtemps prohibitif … personnellement je nettoie mes bouteilles (javel, vinaigre) quand les résidus ne permettent pas de bien les examiner en détail.

  2. Avatar de BOILEAU
    BOILEAU

    Belle analyse de ces respectables (et potentielles) bouteilles de « Champagne », Thierry.
    J’admire ta précision et ton flair.
    Moi qui suis bourguignon, et guère amateur de Champagne (je l’avoue !!), je me permets ici de rappeler que ma belle région fabriquait du « mousseux » avec « mes » grands crus depuis belle lurette,
    Ce liquide étrange était à la mode sous Napoléon III (et sans doute bien avant : je possède des courriers Labaume aîné, de Beaune/Meursault, passant commande de 500 bouteilles de mousseux à son confrère Janniard de Nuits. C’était en 1826 !).
    Je suppose donc que les verreries fournissant les bouteilles aux propriétaires-négociants de Nuits, Vosne ou Vougeot pour qu’ils les remplissent en mousseux devaient être suffisamment prudentes et s’avisaient de les fabriquer de la bonne épaisseur….

    Ainsi, je viens de tomber sur une brève notice de la Chambre de Commerce de Beaune (on dirait maintenant un prospectus, ou plutôt « un flyer »), préparatoire à l’Exposition Internationale -sic- de Porto en 1865.
    J’y ai lu qu’au moins deux exposants inscrits -des grandes Maisons de ce temps- y proposeraient du « Richebourg mousseux 1858 » à 6 francs la bouteille, et aussi du « Nuits mousseux rouge », sans crainte apparente du long voyage prévu, transitant par Le Havre…

    1. Avatar de Thierry De Putter

      Epatant, du « Richebourg mousseux »! En effet, je me demande dans quelles bouteilles on mettait ce nectar oublié? Peut-être les verreries champenoises fournissaient-elles aussi la Bourgogne? Elles avaient conquis leurs lettre de noblesse dès le 18ème siècle, après tout! Mais on ne peut exclure que les verreries plus proches aient fabriqué des bouteilles fortes tout à fait convenables … on en sait si peu, en fait, sur tous ces circuits d’approvisionnement … En tout cas, si tu retrouves une bouteille de vieux Meursault mousseux du 19ème, je m’inscris pour une dégustation 🙂

  3. Avatar de Serge ADAM
    Serge ADAM

    Voici quelques verreries de Saône et Loire très proches où ces bouteilles ont pu être fabriquées:
    Châlon sur Saône; Epinac; Le Creusot (Manufacture de Montcenis), Saint Sernin du Bois (Verrerie de Prodhun); Saint Bérain sur Dheune…
    A voir sur le site de la BNF Gallica « Gazette du Commerce » le chargement des Navires avec nom du navire, nom du capitaine, destination, inventaires des marchandises entre autres bouteilles de vins de Champagne, vins de Bourgogne, bouteilles vides, malheureusement le nom des fournisseurs n’est pas indiqué

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