C’est avec grand plaisir que j’ouvre cette semaine le blog à une contribution origine de Patrice Valfré, sur une manufacture de verre et cristal de la fin du 18ème siècle à Chantilly.
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Si aujourd’hui je connais plutôt bien Christopher Potter (1751-1817), l’homme qui avait racheté la manufacture de porcelaine tendre de Chantilly en début d’année 1792, cet incroyable personnage reste toutefois un quasi-inconnu du grand public. Pourtant, cet homme était un chef d’entreprise visionnaire et avant-gardiste ; œuvrant toujours dans la plus grande discrétion, il est parvenu à hisser ce secteur d’activité artisanal à un niveau jamais atteint avant lui[i]. Ce qui était encore moins connu, c’est qu’entre 1792 et 1799, il s’est livré à Chantilly à diverses expériences techniques de haut niveau portant sur la céramique, les aciers cémentés et le cristal. Dans ce court article, nous allons nous intéresser plus particulièrement à ce dernier que l’on dénommait alors « flint-glass ».
Il s’agissait d’un mélange contenant principalement de la silice (mélange de sable et de silex (flint) réduits en poudre), du plomb et un fondant, comme la soude. Ce matériau assez nouveau en France servait notamment à fabriquer des lentilles destinées aux lunettes de marine et autres longues-vues. Durant le dernier quart du XVIIIe siècle, plusieurs savants s’étaient lancés dans cette recherche, stimulés par les primes conséquentes offertes par l’Académie des Sciences et par la suite par le Comité de Salut public afin de sortir de la dépendance des fournisseurs anglais. Citons, à titre d’exemple, le chimiste Gass qui en 1794, oriente ses recherches sur fabrication du flint-glass et reçoit à cet effet une avance de 10.000 livres de la part de la commission d’Agriculture et des Arts[ii].
Ayant semble-t-il à cœur de développer en plus de la céramique, une activité verrière haut de gamme, Potter n’hésite pas à recruter le citoyen Gass pour sa manufacture de Chantilly. Une recherche minutieuse dans les archives municipales[iii] m’a permis de trouver les documents attestant qu’Adam Frédéric Gass est bien venu s’établir en cette ville : il s’y installe avec sa femme le 1er novembre 1796 et en repartira seulement trois ans plus tard, le 27 juin 1799.
Plus de 210 ans plus tard, je me suis rendu sur le site de l’ancienne carrière Potter à Chantilly. Après avoir admiré les anciens locaux de la manufacture de porcelaine de la rue de La Machine, j’avais décidé d’aller voir l’ancienne carrière Potter se trouvant en contrebas, juste en face du pavillon de Manse. Bien m’en a pris car j’ai découvert ce jour-là un chantier où j’ai eu la chance de pouvoir recueillir un certain nombre de tessons de céramique et de verre. Malheureusement, il est à présent difficile d’y faire de nouvelles prospections car le lieu a été transformé depuis en un parking goudronné[iv].
Une partie du matériel céramique découvert a été illustrée en 2012 dans mon ouvrage sur Potter[v]. Quant aux trouvailles concernant le verre et le cristal, elles sont publiées ici pour la première fois. Ces tessons témoignent des essais portant sur le verre et le cristal et menés dans le plus grand secret à Chantilly, à la fin du XVIIIe siècle. Ils peuvent en effet être situés précisément dans le temps : entre 1792, date de l’arrivée de Potter à Chantilly et jusqu’au départ de Chantilly du chimiste Gass durant été 1799. Voici les plus significatifs d’entre eux :
Tessons de bouteille en verre et fond de creuset
Potter étant un homme avant-gardiste, toujours en quête de nouveaux produits à forte marge bénéficiaire, l’éventualité d’une fabrication de simples bouteilles me semble difficilement envisageable.
Après examen attentif, il semblerait que l’on ait utilisé des bouteilles ou peut-être même des tessons de bouteille pour mener des expériences, comme l’atteste l’épais résidu de verre noir resté collé sur un fond de creuset. Ces tessons prouvent qu’il y a eu en ce lieu des expériences de fusion complète de verre recyclé. Selon toute vraisemblance, il s’agit de bouteilles datables du dernier quart du XVIIIe siècle. Peut-être ces bouteilles ont-elles été fabriquées dans les manufactures voisines de Sèvres ou de Folembray ? Il est probable que ces tessons de bouteille ont été employés comme une matière première économique et avec l’idée d’y adjoindre des composés chimiques ou minéraux afin de transformer ce verre, en matière plus noble. Potter et Gass auraient-ils ajouté du plomb dans ce mélange pour faire des essais de cristal coloré ? L’analyse chimique de ces tessons apporterait certainement de précieuses indications à ce sujet. De plus, d’autres tessons prouvent que leurs recherches portaient aussi sur le « flint-glass » ou cristal optique comme nous allons le découvrir.
Les tessons de bouteilles présentant des particules dorées
J’ai d’abord pensé à un essai de verre avec inclusion de particules dorées ; en effet, comme on peut le constater sur la photo, cela n’a rien à voir avec une irisation provenant d’un séjour plus ou moins prolongé en terre. Toutefois, une observation attentive à la loupe, semble indiquer que ces espèces de « dendrites dorées » sont présentes seulement sur la partie superficielle du verre et non pas dans toute son épaisseur. Il est néanmoins impossible de les enlever par simple grattage. Une hypothèse pourrait-être une substance chimique qui lors de la cuisson aurait pu transformer et altérer la surface extérieure du verre. La présence de ces « dendrites dorées » sur certaines cassures du tesson et non pas sur toutes, tendrait à démontrer que la bouteille était déjà cassée, avant l’enfournement. Cette dernière constatation semble éliminer l’éventualité d’essai décoratif portant sur des bouteilles complètes.
Le tesson mixte, céramique/verre :
Cet étonnant tesson est constitué de deux céramiques, une coupelle en grès jaune et le fond d’une tasse cylindrique dite tasse litron, soudées entre-elles par du verre. Une épaisse coulure de verre, de couleur vert clair, est venue coller l’ensemble lors de la cuisson. Ce témoin atteste que dans la même fournée, pouvait coexister du grès et du verre. S’agissait-il d’essai ou bien cette façon de faire était-elle courante dans la manufacture Potter ? La question reste posée. Potter a fait des essais de grès fins de différentes couleurs entre 1794 et 1797. En Juin 1798, il s’associe avec un nouveau partenaire financier et l’entreprise prend le nom de « Gorneau et C°, manufacture de grès anglais de Chantilly ». Cette tasse à café et sa coupelle en grès fins de couleur jaune sont donc datables de la période 1794-1797.
Tesson de « flint-glass » :
Nous avons là une parfaite illustration des essais menés par Gass et Potter sur le « flint-glass » ou cristal au plomb, principalement destiné aux optiques des longues-vues. Un autre débouché commercial pour ces nouveaux matériaux aurait pu être des verres et des bouteilles de cristal. Ces tessons correspondent au séjour de Gass à Chantilly et en conséquence, ils sont datables de la période 1796-1799.
© P. Valfré, 2015
[i] En 1799, Potter réalisait un chiffre d’affaire de 400.000 francs, ce qu’aucun de ses concurrents ne pouvait rivaliser, pas même l’ex-manufacture royale de Sèvres.
[ii] Madival, Colombey, Claveau, Archives parlementaires de 1787 à 1860, Paris 1969, p. 586.
[iii] Je remercie Madame Sarah Gillois de la mairie de Chantilly, qui a eu la gentillesse de me recevoir à plusieurs reprises pour mon travail de recherche.
[iv] J’ai signalé en 2010, l’intérêt du site à la mairie de Chantilly. Mme Gillois s’est déplacée et a fait également quelques prélèvements sur le chantier.
[v] Patrice Valfré, C. Potter, le potier révolutionnaire et ses manufactures de Paris, Chantilly, Montereau, 2012, p. 155-168 et 189.
A late 18thC pilot glasshouse in Chantilly, France (by P. Valfré)
It’s a great pleasure to welcome this week an original paper by Patrice Valfré, on a little-known late 18thC glasshouse in Chantilly (40km north of Paris, France).
Patrice gives here an overview of the experiments performed in this pioneer glasshouse, at the time of the French Revolution and the beginning of the 1st Empire (late 18thC). Far from the mass-production of bottles, blown for instance in Bordeaux and in the Avesnois (Northern France), the Chantilly plant seemingly was an experimental one, looking for “niche” production of glass with high added value. Among these products was the optical ‘flint glass’, used for the making of binocular and field-glass – a de facto monopoly of England, which was then at war with France. Coloured and/or gilded crystal were maybe also produced experimentally at Chantilly. Bottles were found in the ruins of the plant, and – according to their pontil scars and string rims, date back to the end of the 18thC. The author suggests that these bottles were blown in other glasshouses, as Folembray (100km northeast of Chantilly), and used as a cheap raw material for experiments in Chantilly.
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