A royal glasshouse at Bagneaux-sur-Loing (France), 1753-1808 (by P. Valfre)
Introduction
Mon intérêt pour la verrerie de Bagneaux-sur-Loing, située à 20 km au sud de Fontainebleau, est opportuniste. Mais dans le bon sens du terme évidemment, puisque j’y réside depuis près de quinze ans et qu’au fil du temps, j’ai eu la chance de faire quelques trouvailles, tant sur le site lui-même, qu’au niveau de mes recherches aux archives. Ainsi grâce aux études existantes réalisées par plusieurs chercheurs[1] et à mes propres découvertes, il est à présent possible de se faire une idée nettement plus précise sur ce premier demi-siècle de la verrerie de Bagneaux-sur-Loing et de sa production.
Période 1753-1781, la verrerie ducale
En 1753, Bagneaux-sur-Loing est un modeste hameau présentant moins de dix foyers mais il va connaître grâce au duc d’Orléans et à un « gentilhomme-verrier» dénommé Dubois, une forte croissance dont les effets sont encore perceptibles de nos jours. Phénomène remarquable s’il en est car cette verrerie est toujours en activité et continue de fabriquer des produits verriers de haute technologie. Sur le plan historique, ce qui est moins connu c’est le fait que Bagneaux a été une verrerie ducale avant d’obtenir, près de trente ans plus tard, le titre privilégié de manufacture royale. En effet, son territoire dépendait du duché de Nemours et faisaient partie de l’apanage légué par Louis XIV à son frère, le duc d’Orléans. C’est la raison pour laquelle, le 6 février 1753, le duc d’Orléans fils, autorise de plein droit le « Sieur Dubois, Gentilhomme-verrier » à établir une verrerie à Bagneaux sur Loing[2], sans avoir obtenu préalablement un Arrêt du Conseil du Roi[3].
Le choix du lieu est judicieux car le canal du Loing inauguré en 1723 – et également propriété du duc d’Orléans – permet l’approvisionnement aisé en matières premières mais aussi l’écoulement à moindre frais de la production verrière vers la capitale. Autre avantage et non des moindres, on trouve à proximité immédiate et en quantité, l’une des meilleures silices d’Europe dont la pureté peut atteindre parfois 98%. Quant au combustible principal, le charbon de terre, il parviendra jusqu’aux portes de la verrerie, grâce au canal.
Toutefois en 1757, après seulement quatre années de présence sur le site, Dubois arrête son activité verrière. Différents repreneurs vont tenter de maintenir et de relever l’affaire mais sans succès notables semble-t-il. Dans un ouvrage publié en 1768, il est dit que le duc d’Orléans en est le propriétaire : « A un quart de lieue de Nemours est une verrerie qui appartient maintenant au duc d’Orléans. Elle a eu d’abord le sort commun à toutes les manufactures…ses premiers directeurs n’y ont pas fait fortune… »[4].
Dix ans plus tard, en juin 1778, un maître verrier du nom de Louis Graux reprend à son compte la fabrication et tente de diversifier la production. Outre les traditionnelles bouteilles en verre, il y fabrique aussi des carafes, huiliers, gobelets et autres bonbonnes. Toutefois, malgré sa bonne volonté et une redevance annuelle raisonnable de 334 livres, il semblerait que son entreprise manque cruellement de fonds propres. Cette situation financière délicate l’oblige à trouver des partenaires bailleurs de fond. C’est dans ces circonstances qu’en 1780, Graux s’associe avec un homme assez fortuné Antoine Charles Lebret de Saint-Martin, un parisien éditeur et écrivain de journaux spécialisés dans le droit. Graux s’étant vanté d’avoir : « trouvé le secret ignoré en France de faire le véritable flintglasse et tout les plus beaux verres »[5]. Les deux hommes passent alors un contrat d’association mais Graux s’avéra dans l’incapacité de fabriquer du « flintglass » de qualité et quelques mois plus tard, un nouveau contrat va être signé. Dans celui-ci, les rôles changent : Lebret de Saint-Martin devient le véritable patron de l’affaire et Graux avec un salaire annuel de 2400 livres, n’est plus que le « chef Directeur des ouvrages » de cette nouvelle société dénommée : « Georgon & Compagnie ». L’affaire reste toutefois modeste si l’on se fie à la quantité des marchandises fabriquées ; de plus, en mars 1781 Graux semble vouloir se désengager de cette affaire afin d’aller s’établir à Brunoy. C’est dans ce contexte que la verrerie est mise en vente.
Période 1781-1786, Nicolas Chanu et la verrerie Royale de Bagneaux
C’est un avocat au parlement de Paris, Sieur Nicolas Chanu, qui se porte acquéreur de la verrerie, le 7 mai 1781. Chanu sait parfaitement s’entourer comme on peut le constater quand il recrute un maître verrier expérimenté, Jacques-François Belot, pour le poste de directeur. En effet, ce dernier était préalablement en charge de toute la production de bouteilles à la verrerie de Sèvres comme l’atteste cette phrase : « …et de faire des bouteilles…ainsi que le Sieur Belot avoit coutume de faire à la verrerie de Sevre ». Quant au type de production, nous pouvons nous en faire une idée grâce à cette description se trouvant dans l’Arrêt du Conseil de commerce, de juillet 1782 : « …des verres à boires, des caraffes, et autres verres, même des verres à vitres ».
Dans la série de documents inédits que j’ai mis au jour, deux d’entre eux révèlent l’impressionnante capacité de production de la verrerie de Bagneaux. Un contrat passé avec le marchand Jacques Corbey en 1783, mentionne la fourniture de 100.000 bouteilles mais ses capacités de production allaient bien au-delà. En effet, dès l’année suivante, la verrerie parvenait à produire jusqu’à 500.000 bouteilles.
Fort de ces résultats spectaculaires, Chanu prend la décision de revendre la manufacture aux enchères publiques durant l’été 1784. A cet effet, il fait publier une annonce libellée de la façon suivante : « Vente à l’amiable …d’une verrerie royale située entre Orléans et Fontainebleau, dans laquelle on fabriquoit annuellement Cinq cent mille bouteilles de verres, aussi belle et aussi solide que celles de Sèvres ».
C’était certainement plus que ne pouvait supporter son concurrent, le Sieur Jean Etienne Randon d’Hanneucourt, propriétaire depuis novembre 1778, de la verrerie de Sèvres (dite aussi du Bas-Meudon et ancienne propriété de la Pompadour) aussi dès le mois de septembre, se décide-t-il à d’attaquer Chanu en justice. A priori, Randon d’Hanneucourt semblait avoir toute les chances d’emporter cette bataille judiciaire mais à force d’intelligence et de persévérance, Chanu va parvenir à renverser la situation. En effet, en 1785 d’Hanneucourt est condamné à lui verser des sommes très importantes pour avoir entravé la vente aux enchères de la verrerie et fait arrêter la fabrication. Ce dernier est abattu et totalement déprimé par les sentences rendues par le Conseil du roi, aussi va-t-il finalement rétrocéder son affaire – et ses dettes – à un riche banquier, dénommé Isaac Panchaud[6]. Celui-ci va tenter un ultime recours judiciaire en juillet 1787 mais sans plus de succès que son prédécesseur puisqu’au final, il se verra condamné à payer plus de 150.000 livres à Chanu, pour la verrerie de Bagneaux. Ainsi in fine, Chanu sera parvenu à multiplier presque par dix son investissement initial dans la verrerie de Bagneaux.
C’est dans ces circonstances que Panchaud prend la décision de fermer la très performante verrerie de Bagneaux au profit de celle de Sèvres car dans un périmètre si proche de la capitale, certainement n’y avait-il pas de place pour deux verreries capables de produire de telles quantités de bouteilles.
Peu après la Révolution française éclate et dans les cahiers de doléances adressées pour la réunion des Etats-généraux en mars 1789, les habitants de Bagneaux, se plaignent de l’arrêt forcé de la verrerie qui constituait une source conséquente de revenus pour nombre de villageois.
1796-1808. La période Senovert
La période la plus dure de la Révolution étant passée, les affaires reprennent peu à peu et la veuve Panchaud, née Bourceret, vend la verrerie, le 1er mars 1796 à Pierre Müller, « maître de verrerie et négociant », par le biais d’une vente aux enchères. Ce dernier la revend six mois plus tard à un parisien d’origine toulousaine, dénommé Senovert[7]. Celui-ci va parvenir à conserver la verrerie en activité durant la période la plus longue, douze années. Il choisit comme l’un de ses partenaires le citoyen Hassenfratz[8], un chimiste talentueux aux multiples compétences. Toutefois, aucune information n’a filtré dans les archives concernant le type de verre produit. Mais d’après mes observations, il semblerait que la production, en plus des traditionnelles bouteilles, se concentrait sur des produits novateurs, des verres de très haute-technologie.
Lors de l’exposition des produits de l’industrie de 1806 qui s’est tenue à Paris devant l’Hôtel des Invalides, la verrerie de Bagneaux expose, nous permettant ainsi d’avoir quelques informations. Concernant le propriétaire, on mentionne un certain Deronet (déformation possible du nom de Senovert) ; quant à la production les informations sont plus que succinctes et l‘on apprend seulement que l’énigmatique Deronet : « l’a rendue à sa première activité ».
Doit-on comprendre, une production de bouteilles et de verre à vitre ?
Ainsi pendant douze années la production haut de gamme de Hassenfratz et de Senovert sont restées cachées mais par chance, certains tessons que j’ai collectés depuis plus d’une quinzaine d’années près de la verrerie, vont nous permettre de nous faire une idée plus précise des ces pièces d’exceptions qui ont été produites entre 1796 et 1808. Nous reviendrons plus en détail sur cette production « top-secret » ultérieurement car elle mérite selon moi toute notre attention et passionne depuis longtemps les collectionneurs anglo-saxons.
Senovert sera l’entrepreneur ayant conservé la verrerie balnéolitaine le plus longtemps. Après douze années, il se décide cependant à la revendre à un marchand verrier parisien nommé Jean Andruette, vers 1808. Par la suite, outre la verrerie de Bagneaux, ce dernier en possédera une autre à d’Ivoy-le-pres, non loin de Bourges.
Légendes des figures
- Bouteille de type oignon. H : 20,5cm, poids : 745g, contenance : 905cl. Attribuable à la verrerie de Bagneaux/Loing. 19ème siècle
- Rondins de terre réfractaire recouverts d’une couche de verre en périphérie. Longueur du plus grand : 15cm
- Pied de coupe en verre soufflé de couleur claire. Diamètre : 10 cm
- Tessons de verre de diverses couleurs provenant de la verrerie de Bagneaux
Cinq bouteilles de bière, trouvées dans une cave près de Bagneaux
- Culs des bouteilles. Période : 19ème siècle
- Deux Bouteilles en verre blanc, marquage réalisé à l’abrasif sur pochoir : O. CHASSIN BIERE DE NEMOURS. H : 28cm pour la plus grande
- Bouteilles en verre vert, bouchon en porcelaine, marquage moulé en relief: A. SAVARY ORANGINE NEMOURS. H : 29cm. Bouteilles en verre vert, marquage moulé en relief: CORDIER NEMOURS. H : 29cm
Notes
[1] Bernard MICHEL, « Le plexus du Pyrex, jalons sur 250 ans d’histoire de la verrerie de Bagneaux » in Bulletin d’art et d’histoire de la vallée du Loing, p. 178-206, vol. 2, 1999. Raynal Cécile « Verre et santé, petite histoire de la verrerie médicale… » in Revue d’histoire de la pharmacie, n°357, P. 80-83, 2008. Sauzon-Bouit Edwige, « Les verreries de Bagneaux-sur-Loing (1752-2010) », in Bulletin de l’association pour l’archéologie du verre, p.119-12, 2011.
[2] Archives Nationales : Arrêts du Bureau du Conseil du Roi, en date du 22 mars 1788.
[3] L’arrêt du Conseil du Roi autorisant l’établissement de la verrerie de Bagneaux, date du règne de Louis XVI. Archives Nationales: Arrêt du Conseil du Roi, Versailles le 2 juillet 1782.
[4] Abbé Expilly, Dictionnaire géographique, Amsterdam 1768, tome V, p. 161
[5] Dès 1767, afin de stimuler la recherche, l’Académie Royale des Sciences de Paris propose une prime de 1200 livres à celui qui serait capable de fabriquer du flintglass en France.
[6] Isaac Panchaud (1737-1789), banquier d’origine anglaise, créateur de la banque d’Escompte.
[7] Étienne- François Senovert (1753- 1831), avocat puis homme d’affaire, partenaire des frères Monneron.
[8] Hassenfratz Jean-Henry (1755-1827), originaire d’Alsace. Proche de Monge et de Lavoissier. Brillant autodidacte aux multiples talents : marin, charpentier, géographe, chimiste, métallurgiste, alpiniste, homme politique membre du Comité de Salut public. Il effectue de nombreux voyage en France, Allemagne, Autriche, Suisse et même à la Martinique.
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