Des oignons qui poussent

English version below

En partant d’un des oignons que j’ai achetés récemment, je voulais initialement le décrire et proposer un scénario d’évolution de ces bouteilles vers les cylindres que nous connaissons encore. Moins simple qu’il y paraît …

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Commençons par l’oignon que voici (photo ci-dessus). C’est une bouteille de forme un peu atypique, en verre vert olive, d’une hauteur de 20,5 cm. Le fût cylindrique bas, en « pot de fleur », se rétrécit rapidement pour donner naissance à un col haut, épais à la base et fin au sommet. Une bague de col de forme biconique est placée assez bas sur le col et l’intérieur du col montre un réseau de petites craquelures internes parallèles à l’allongement du col. La piqûre, peu profonde, porte une marque de pontil assez classique (sur le continent), en anneau de verre coupant (angl. « disc pontil »).

L’interprétation de cette bouteille pose quelques questions. D’où vient-elle ? De quand date-t-elle ? Mon sentiment est qu’il s’agit d’une bouteille de transition, entre les oignons et les cylindres. Et je propose ci-dessous une photo qui résume mon propos. Visuellement, l’évolution est assez convaincante, sauf que … sauf que cet assemblage regroupe des bouteilles d’origines diverses et dont l’âge n’est pas connu avec précision !

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À gauche, théoriquement, un oignon allemand assez plat/bas qui rappelle un peu la forme des bouteilles « pancake » anglaises : pontil à anneau de verre, provenance Allemagne du Nord, date env. 1720-25 (voir Kosler, p. 371, n°2).

Au milieu, oignon belge/flamand de transition (déjà !), pontil à anneau de verre (très proche de celui de l’oignon haut de ce post), date ± 1725 (Kosler, p. 481).

Et à droite, notre oignon/maillet haut, pontil à anneau de verre, origine et âge inconnus. Sous toutes réserves, Belgique ou France, vers 1730. Belgique parce que, techniquement, cette bouteille se rapproche un peu de la bouteille du milieu de la photo : même marque à la piqûre, même bague de col biconique. Mais je n’exclurais pas une origine française (proto-champenoise ?) et j’illustre dans la photo suivante, ma bouteille de transition et une champenoise que je daterais des années 1735-40. À comparer avec les bouteilles de champagne représentées sur deux tableaux de 1735 : le « Déjeuner d’huîtres » (De Troy ; Chantilly) et le « Déjeuner de jambon » (Lancret ; MFA, Boston). Même si la bouteille de transition de ce post n’est pas une champenoise, elle pourrait annoncer ce qui est connu dans les années 1735-40.


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Ce post met en évidence la difficulté de décrire la séquence temporelle assez courte qui voit le passage des oignons de forme classique (vers 1725) à des pots de fleur, puis à des cylindres bas, de plus en plus fins et hauts avec le temps. On ne peut exclure que, durant cet intervalle 1720-1735, on ait soufflé à la fois des oignons classiques dont beaucoup étaient destinés à l’exportation et des bouteilles de transition, destinées au marché européen … Il faut également tenir compte de la disparité des zones de productions européennes, dont certaines ont pu fonctionner dans un environnement moins soumis à une évolution rapide de la demande (Allemagne du Nord, par exemple). D’autres au contraire (Avesnois, Flandre), fournissaient en masse des bouteilles pour les colonies et faisaient face aux demandes de différentes régions viticoles françaises (Champagne, bordelais), en vue de produire des bouteilles nouvelles permettant de conserver les vins dans des conditions optimales.

Growing onions

Starting from one of the onion bottles I bought recently, I initially wanted to describe it and propose an evolution sequence, from these bottles to the cylinders we still know. It proved to be less simple than expected.

Let’s start with the newly acquired onion (photo above). This is a 20.5cm-high bottle, of relatively atypical shape and made of olive green metal. The flowerpot-shaped body narrows rapidly to give rise to a tall neck, sturdy at the base and much finer at its top. A biconical string rim is placed rather low on the neck. The inner part of the mouth displays a network of very thin cracks parallel to the elongation of the neck. The shallow push-up has a disk pontil scar, as usually with continental bottles.

The interpretation of this bottle raises questions. Where is it from? What is its age? My feeling is that it is a transitional bottle, between the onions and cylinders. And I propose below a picture that summarizes my point. Visually, the evolution seems to be quite convincing, but… I have to recognize that this picture includes bottles of various origins and whose age is not known with great precision!

To the left, theoretically, this should be a German onion somewhat reminiscent of the shape of the ‘pancake’ English bottles: disc pontil scar, Northern Germany, c. 1720-1725 (see Kosler, p. 371, n°2).

In the middle, a transitional (yet!) Belgian/Flemish onion, disc pontil scar – very close to that of the onion of this post), dated c. 1725 (Kosler, p. 481).

To the right, our onion/mallet described above, disc pontil scar and unknown origin and age. Possibly, Belgium or France, c. 1730. Belgium because, technically, this bottle is rather similar to the bottle of the middle of the picture: same disc pontil scar, same biconical string rim. But I would not exclude a French origin (proto-Champagne bottle?). On the next picture, our transitional bottle and a Champagne bottle, dated c. 1735-40. To be compared with champagne bottles shown in two paintings – dating both from 1735: the “Oyster’s lunch” (De Troy; Chantilly Castle and Museum) and the “Ham lunch” (Lancret; MFA, Boston). Even though the transition bottle of this post is not a champagne bottle, it could announce the bottles used in 1735-40.

This post highlights the difficulty of describing the relatively short time sequence that witnesses the transition from the onion form (c. 1725) to the “flower pots” and then to squat cylinders, becoming finer and taller with time. It is likely that during the 1720-1735 interval, European glassworks have produced both conventional onions – many of which were for export, and transitional bottles, for the European market … The disparity in European production areas also matters, as some have been operating in environments that were not subject to rapid changes in demand (e.g. Northern Germany). Others, however (Avesnois, Flanders), provided bottles for the colonies (a true mass-production) and faced growing demand originating from different French wine-producing regions (Champagne, Bordeaux), to produce new bottle types allowing to keep wines in optimal conditions.

2 réponses à “Des oignons qui poussent”

  1. Avatar de Serge ADAM
    Serge ADAM

    Encore de belles bouteilles que tu as trouvé Thierry, beaucoup d’interrogation sur cette bouteille oignon en effet, elle ressemble effectivement beaucoup à l’oignon Belge, la bague de col de ton oignon ressemble beaucoup à cette dernière mais aussi à ta bouteille champenoise. Tu n’indique pas le poids de tes bouteilles, cela serait peut être intéressant de les comparer. Dans tous les cas tes explications sont comme d’habitude très intéressantes et passionnantes.

  2. Avatar de Thierry De Putter

    Merci Serge! Bonne idée, les poids, je vais les ajouter, mais la champenoise haute, la plus « récente » est très lourde, beaucoup plus que les autres et sans doute trop: je me rappelle que Stéphane Palaude m’a dit un jour que les champenoises anciennes étaient très lourdes parce que les verriers croyaient que cela augmenterait leur résistance. Que nenni, c’est la qualité du soufflage qui les rend résistantes, pas le poids de verre utilisé …

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