La Loire est un long fleuve dont le potentiel en matière de verrerie en bouteilles est assez mal connu. Dans ce post, je vais essayer (1) d’identifier quelques caractéristiques de bouteilles probablement soufflées dans la Loire à la fin du 18ème siècle, et (2) d’explorer les voies commerciales que les bouteilles destinées à l’exportation ont pu suivre, au cours des 18ème et 19ème siècles. Il est important de préciser qu’il y a peu de travaux disponibles et qu’une bonne part des hypothèses présentées ici demande encore une démonstration plus rigoureuse.
Les bouteilles de Loire occupent une place géographique centrale, en France. Elles se distinguent assez facilement des productions bordelaises qui, à la fin du 18ème siècle, tendant fortement vers le modèle haut actuel, et des productions de l’Avesnois, de type bourguignonne/champenoise. Personnellement, je ne pense pas pouvoir identifier avec certitude des bouteilles de Loire antérieures au dernier tiers du 18ème siècle, bien que la région d’Orléans ait peut-être produit des bouteilles « noires » au début de ce siècle (Bellanger, 1988, p. 218).
Les observations ci-dessous résultent de l’examen de deux lots de bouteilles achetés à 10 ans d’intervalle, à La Baule (2010) et à Thouars (2019). Toutes les bouteilles avaient, selon les vendeurs, une origine locale (cave d’un couvent à Château-Gontier et d’un notable à Thouars). Je les considèrerai dans la suite comme des « angevines » à vin.
La bouteille ci-dessous (fig. 1) pourrait peut-être être la plus ancienne des deux lots, avec un fût bas de forme tronconique inverse (en « pot de fleur ») et un épaulement passant directement à un col pyramidal, très large dans le bas et s’affinant vers le haut. Cette bouteille porte une marque de pontil circulaire fine (disc pontil) et une bague de col au profil annulaire, assez saillante. Elle mesure 27 cm de haut et contient environ 76 cl. Je la daterais de 1770 environ.
Les autres bouteilles présentent une forme assez homogène et facile à identifier : un fût bas, de forme tronconique inverse (en « pot de fleur »), un épaulement bas et court faisant la transition avec un col haut et qui tend à s’évaser légèrement à l’ouvrant. La bague de col présente un profil annulaire ou en V. La piqûre porte soit une cicatrice annulaire (disc pontil) : groupe de la fig. 2 ; hauteurs comprises entre 29,5 et 30 cm ; contenance faible, dans la gamme de 68 à 72 cl ; soit une cicatrice de canne (blowpipe pontil scar) : groupe de la fig. 3 ; hauteurs comprises entre 29 et 31 cm ; contenance entre 64 et 75 cl.
Ces bouteilles angevines sont caractérisées par un ouvrant lisse, très soigneusement achevé à chaud. À l’intérieur des deux groupes de bouteilles des fig. 2 et 3, il y a des variations, notamment dans la forme de la bague de col et dans la couleur du verre – ce qui pourrait indiquer qu’il y avait plusieurs verreries différentes produisant des bouteilles à peu près à la même époque (c’est-à-dire probablement dans le dernier tiers du 18ème siècle). Par ailleurs, toutes ces bouteilles présentent également la caractéristique, assez rare, d’avoir une contenance faible, généralement inférieure à 75 cl.
Lorsque la bouteille ressemble davantage à une bordelaise (fig. 4), la piqûre peut porter la marque d’un enfoncement au pontil nu, avec des restes de graphite (hauteur : 31 cm ; contenance : 76 cl). Cette bouteille est, selon moi, la plus récente de celles illustrées dans ce post : je la daterais de 1800-20.
À côté de ces bouteilles « angevines » à vin, on rappellera aussi l’existence des « nantaises » à cognac (fig. 5), auxquelles j’ai déjà consacré un post – et qui se caractérisent par une forme très anglaise, en « mallet » et un poids considérable, plus d’un kilo pour 78 cl. Ces bouteilles seraient contemporaines de nos angevines, dans le dernier tiers du 18ème.
Par-delà les caractéristiques matérielles des bouteilles ligériennes, il est également intéressant de se pencher sur les centres de production, les voies commerciales et donc les possibilités d’exportation des bouteilles. La cartographie des verreries en bouteilles de la Loire (fig. 6) repose sur les informations compilées par Bellanger (1988, p. 79 à 226) et sur les informations et la carte de Losier (2012, p. 156). La carte de la fig. 5 suscite, me semble-t-il, l’hypothèse d’une situation contrastée entre le 18ème et le 19ème siècle.
Au 18ème, les verreries seraient – si l’on en croit la littérature – réparties de manière assez homogène, tout au long du fleuve. Il faut cependant noter que certaines verreries en bouteilles ont pu avoir des durées d’activité réduites et que, d’une manière générale, leurs productions sont (très) mal connues. Quoi qu’il en soit, l’activité commerciale du 18ème siècle est essentiellement dirigée vers l’Atlantique, avec les exportations de vins et d’eaux de vie au départ des ports de la façade atlantique (Bordeaux, La Rochelle, Nantes) et à destination notamment des colonies (Losier, 2012). On retrouve d’ailleurs, dans les colonies, des bouteilles françaises de divers types, dont le type angevin examiné dans ce post (voir la fig. 4 de Losier, 2012, p. 160).
Au 19ème siècle en revanche, les centres de production seraient peut-être davantage concentrés en Haute-Loire, où les bassins houillers se développent, lors de la révolution industrielle. Les verreries de la région stéphanoise permettent désormais une production proprement industrielle de bouteilles et il semble que celles-ci soient exportées préférentiellement vers la Méditerranée, où elles seront parfois retrouvées dans des épaves (Gratuze et Serra, 2010 ; Serra, 2014). À cette époque, les verreries de Haute-Loire constituent donc la partie amont du bassin économique centré autour du corridor rhodanien et de la Méditerranée.
Les bouteilles de Loire sortent petit à petit d’un relatif anonymat. Elles sont à la fois très caractéristiques et connectées à deux espaces économiques différents : l’Atlantique au 18ème siècle et la Méditerranée au 19ème. Il reste beaucoup à faire pour mieux caractériser ces bouteilles de Loire et pour évaluer les inévitables interactions avec les autres bassins verriers voisins, dans le Bordelais, l’Est de la France et, au Nord, en Normandie et dans la région parisienne.
Bottles from the Loire valley (France)
The Loire River has a long river basin whose potential as a bottle-producer area is little known. In this post, I will (1) examine and list some characteristics of bottles probably blown in the Loire in the late 18thC and (2) explore the trade routes for exporting these bottles, in the 18th and 19thC. It is important to note that written sources are lacking and that most of the hypotheses in this post therefore require further demonstration.
The Loire bottles occupy a central geographic location in France. They are easily distinguished from the Bordeaux bottles which, at the end of the 18thC, are yet quite close to the present-day cylinder and from the champagne/burgundy bottles blown in Northern France. I could personally not emphasize a definitely pre-1760 bottle from the Loire valley, even if the Orleans region has produced bottles as early as in the beginning of the 18thC (Bellanger, 1988, p. 218)
The observation below results from the examination of two batches of bottles purchased in 2010 at La Baule and in 2019, at Thouars. According to the sellers, the bottles had a ‘local’ origin, the cellar of a monastery at Château-Gonthier and the cellar of a wealthy notable near Thouars. I refer to these bottles as to “angevine” (derived from the French region “Anjou”) wine bottles.
The bottle below (fig. 1) could well be the oldest of both batches, with a stocky flowerpot-shaped body and a shoulder passing to a pyramidal neck, wide at its base and finer towards the mouth. This bottle has a push-up with a disc pontil scar and a salient round string rim. It is 27cm in height and contains some 76cl. I would date it from c. 1770.
The other bottles have a rather distinctive and easily identified shape: a low flowerpot-shaped body, a low and short shoulder leading to a tall neck flaring slightly at the mouth. The string rim has a round or a biconvex V-shaped profile. The push-up of the bottles in fig. 2 has a disc pontil scar: heights are in the range 29.5 to 30cm and the content is rather low, from 68 to 72cl. The push-up of the bottles in fig. 3 has a blowpipe scar: heights are 29 to 31cm and the content varies between 64 and 75cl.
These angevine bottles have a carefully smoothed mouth, tooled when the metal was still hot. Within the two groups of bottles, some variation is noted, in the shape of the string rim and in the colour of the glass, which might indicate that different glassworks produced these bottles simultaneously, in the last third of the 18thC. It is also worth noting that these bottles have an uncommon low content, mostly less than 75cl.
When the bottle looks like a bordeaux bottle (fig. 4), the push-up may have a bare pontil scar, with relicts of graphite (height is 31cm; content is 76cl). This bottle is probably the youngest of those shown here: I would date it from 1800 to 1820.
Besides these angevine wine bottles, are also cognac bottles from Nantes (fig. 5), which I described earlier in another post and which look like heavy-weighted English mallet bottles, more than 1kg for about 78cl. These bottles would also date from the last third of the 18thC, as our wine bottles.
Beyond the material characteristics of the Loire bottles, it is also relevant to have a look at the glassworks, the trade network and the routes for exporting these bottles. A map of bottle-producing glassworks is shown in fig. 6 and is built on data from Bellanger (1988, p. 79 to 226) and from Losier (2012). This map suggests that trade routes may have varied in the 18th and 19thC.
In the 18thC, the glass factories were, according to the existing literature, evenly distributed along the Loire River. It is however worth noting that some of these glassworks may have had short-lived existences and that their production are altogether poorly known. Anyway, the commercial mainstream in the 18thC is towards the Atlantic, with wine and spirit exports to the overseas from seaports such as Bordeaux, La Rochelle and Nantes (Losier, 2012). Interestingly, French bottles of various shapes – including the angevine shape described here – are found in the archaeological record of French dwellings overseas (see fig. 4 in Losier, 2012, p. 160).
In the 19thC, the production centres rather concentrated in the upstream Loire basin, where coal basins experienced an intense activity, during the industrial revolution. Glass factories located near Saint-Etienne produced truly industrial bottles and it seems that these were mostly exported to the Mediterranean basin, where large batches of bottles were occasionally recovered from shipwrecks (Gratuze and Serra, 2010; Serra, 2014). At the time, the glass factories in the upper Loire River were part of the upstream industrial basin of the Rhone valley and the Mediterranean ports.
The Loire bottles come out little by little of a relative anonymity. They are altogether very distinctive in shape and intimately connected to two different economic zones: the Atlantic in the 18thC and the Mediterranean in the 19thC. Further work is needed to characterize these bottles more precisely and to evaluate the interaction of the Loire factories with other neighboring production zones, in Bordeaux, in Eastern France and to the North, in Normandy and the Paris region.
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