Les bouteilles 18ème du Canada

Bouteilles 18e siècle Canada

English version below

Le Canada a changé de colonisateur vers 1760 : les Français ont fait place aux Anglais. Cette circonstance historique est une chance exceptionnelle pour affiner une typologie et une datation des bouteilles françaises pré-1760. Et ceci d’autant plus que, dans une tradition plus anglo-saxonne que française, les fouilles archéologiques au Canada ont prêté une grande attention à ces objets de la vie quotidienne. Comme le signalait Tim Eldridge dans son post sur les frontignanes l’année dernière : « Because most of the early 18th century trade with New France originated from Bordeaux and nearby ports, including the wine trade, the archaeology of Quebec provides a unique window into the evolution of wine bottles manufactured in the Bordeaux region. »

Parmi les travaux récents, j’ai épinglé la thèse de maîtrise de Catherine Losier (2005) et un article paru dans le prestigieux Journal of Glass Studies du Corning Museum of Glass en 2012 (références dans la biblio). Ces travaux importants illustrent le potentiel des fouilles en milieu urbain, notamment à Montréal (château de Vaudreuil).

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Figure tirée de Losier (2012) et illustrant une bouteille du 17ème siècle retrouvée en Guyane / Figure from Losier (2012) showing a 17thC bottle found in French Guyana

Ces travaux remarquables laissent toutefois un goût de trop peu lorsque l’on en vient à la typologie des bouteilles françaises retrouvées au Canada : l’auteur part de l’hypothèse surprenante qu’un seul type de bouteille était fabriqué en France au 18ème siècle (Losier, 2012, p. 160). Plus loin, elle ajoute : « En comparaison avec les productions anglaises qui présentent une hétérogénéité remarquable, notamment au niveau du goulot, les bouteilles françaises sont très standardisées » (ibidem, p. 163).

Je dois dire que je ne partage pas du tout ces hypothèses : tout d’abord, les illustrations présentées par l’auteur montrent une grande diversité dans les bouteilles retrouvées à Montréal. Ensuite, les analyses chimiques présentées par l’auteur montrent également d’énormes variations de compositions, que l’auteur attribue à des lieux de production différents (p. 172) mais sans remettre en cause son hypothèse d’une homogénéité des productions françaises au 18ème.

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Figure tirée de Losier (2012) et illustrant les bouteilles françaises supposément standardisées du 18ème siècle / Figure from Losier (2012) showing allegedly standardized 18thC French bottles

 

Pour avancer, il faudrait un corpus illustré reprenant une plus grande quantité de bouteilles françaises retrouvées au Canada. A priori, celles-ci constitueraient effectivement une indication des productions provenant de France (essentiellement via Bordeaux), jusque vers 1760. Mais il faudrait aussi pouvoir comparer ce corpus à ce que nous savons des productions françaises – et là, il faut reconnaître qu’il subsiste aussi des zones d’ombre. Une chose est absolument certaine : les productions françaises du 18ème sont à coup sûr extrêmement variées. Peut-être les analyses chimiques (microsonde de Losier à Laval, LA-ICP-MS de Gratuze à Orléans) permettront-elles à terme d’aller plus loin ? Mais on sait que l’interprétation des données géochimiques s’appuie elle aussi sur des bases de données de référence qui font encore défaut. Les travaux transatlantiques pourraient se nourrir mutuellement !

18thC Canadian bottles

Canada has seen its colonial power changing around 1760, from France to England. This historical circumstance offers an outstanding opportunity to refine both the typology and dating of pre-1760 French bottles. And it is all the more so that in an Anglo-American (rather than French) tradition, urban archaeology in Canada has paid much attention to these everyday life artefacts. As Tim Eldridge rightly wrote in his 2014 post on the “frontignane” bottles: “Because most of the early 18th century trade with New France originated from Bordeaux and nearby ports, including the wine trade, the archaeology of Quebec provides a unique window into the evolution of wine bottles manufactured in the Bordeaux region.”

Amongst recent works, I have chosen the Master thesis of Catherine Losier (2005) and one of her recent papers, published in 2012 in the prestigious “Journal of Glass Studies” of the Corning Museum of Glass (references in the reference section). These important works demonstrate the high potential of urban archaeology, notably in Montreal (Vaudreuil Castle).

These fine works however seem a little bit “short” when they come to the typology of French bottles unearthed in Canada. The author builds her paper on a surprising hypothesis along which only one type of bottle was produced in France during the 18thC (Losier, 2012, p. 160). She adds further that French bottles were highly standardized when compared to the highly heterogeneous English bottles (and notably their lips) (ibidem, p. 163).

To be honest, I don’t share these hypotheses: one the one hand, the bottles unearthed in Montreal and figured by the author display an obvious diversity. On the other hand, the chemical analyses she presents in her paper confirm that there are significant variations in chemical compositions for the analysed samples. The author proposes that these differences result from the existence of various glassworks in France (p. 172) but she doesn’t challenge her own hypothesis of homogenous productions in France during the 18thC.

To go further, an illustrated corpus of French bottles unearthed in Canada is obviously needed. Such a document would a priori constitute a valuable reflection of the variety of bottles imported from France (predominantly via Bordeaux), until 1760. But a comparison with what is known on French production is also needed – and it is unfortunately clear that there are remaining gaps in our knowledge. One thing is reasonably sure: French bottles in the 18thC were extremely diverse. Chemical analyses (microprobe at Laval by Losier, LA-ICP-MS at Orléans by Gratuze) might provide relevant information but even the interpretation of chemical databases usually rests on a set of reference samples (bottles in this case). And again, well-constrained and dated reference material lacks. Cross-fertilization could be expected from works on either side of the Atlantic!

2 réponses à “Les bouteilles 18ème du Canada”

  1. Avatar de ADAM
    ADAM

    Je suis comme toi je ne partage pas du tout ces hypothèses de la bouteille standardisée françaises, j’ai trouvé ce document sur le site de la Bibliothèque Nationale de France: « Traité théorique et pratique sur la culture de la vigne etc … » Tome II An IX- 1801 par le citoyen Chaptal, Mr l’Abbé Rozier, les citoyens Parmentier et Dussieux.
    page 329 dans le chapitre « Des Bouteilles » qui le prouve.
    La bouteille est un vaisseau de verre ou de grès, servant à contenir de petites quantités de vin.
    Sa forme varie suivant les pays.En Angleterre, le col est court, écrasé, le corps presque aussi large dans toutes ses parties. En France, la forme est arbitraire, et la contenance varie, ce qui favorise la friponnerie. Il y en a dont le col est fort allongé, le corps petit, et le cul très enfoncé. Toutes ces bouteilles se rapprochent plus ou moins de la forme d’une poire. Il seroit à désirer que le règlement fait pour la province de Champagne fût exécuté dans toute la France; on seroit par-là assuré de la quantité de vin qu’on achète; Lorsqu’on demande, par exemple, cent bouteilles de vin, l’acheteur ne voit souvent que la forme du verre, et il est trompé sur le contenu. Par exemple la bouteille ordinaire à col long , à corps court et à cul enfoncé, ne tient pas trois quarts de la pinte; et cependant suivant la loi de l’équité, elle devroit contenir la pinte. Ainsi l’acheteur est toujours trompé du plus au moins; il ne peut l’être en Champagne.etc …

  2. Avatar de Thierry De Putter

    Merci Serge, texte très intéressant et savoureux: « En France, la forme est arbitraire, et la contenance varie, ce qui favorise la friponnerie »! Mais ce qui est encore plus intéressant c’est de voir que ce texte date de 1801, une période à laquelle on commence quand même petit à petit à fixer les modèles et même à essayer de standardiser les contenances (pinte ou litre; cf. le fameux décret « litre » du 4 novembre 1800) … et malgré cela, l’impression d’arbitraire domine toujours.

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