On le sait, la datation des bouteilles françaises du 18ème siècle n’est pas très aisée, faute de ces sceaux si fréquents sur les bouteilles anglaises et qui fournissent le millésime du vin que la bouteille contient … auquel cas, on peut à bon droit supposer que la fabrication de la bouteille est « de peu » antérieure à ce millésime.
Il est curieux qu’à l’époque des Lumières, la quête de rationalisme n’ait pas conduit à généraliser cette pratique en France mais il est vrai qu’à la fin du 18ème siècle le vin n’était pas, loin de là, systématiquement mis en bouteille pour être vendu et expédié !
C’est à un Américain que nous devons d’avoir quelques bouteilles des plus grands crus de bordeaux millésimées ! Cet Américain n’est autre que Thomas Jefferson, alors ambassadeur des tous jeunes États-Unis d’Amérique à Versailles (1784-1789). Francophile, Jefferson aime aussi les meilleurs vins du pays : Hermitage – qu’il décrit en 1791 comme le « premier vin au monde, sans exception », Yquem ou Lafitte, même s’il ne dédaigne pas le Bellet de Nice, le rouge du Roussillon ou les muscats de Frontignan et Lunel (sur les goûts de Jefferson en matière de vins)
Devenu le 3ème Président des États-Unis (1801-1809), Jefferson continue de se faire envoyer du vin embouteillé. Les bouteilles françaises portent, gravés, le cru, le millésime et les initiales du destinataire : Th. J. Cette sage précaution permettait sans doute à son personnel américain de servir le Président selon ses désirs … mais elle nous permet aussi de dater avec précision la frontignane ou bordelaise de l’époque, Yquem (1784, ci-dessous, à gauche) ou Lafitte (1787) :
ATTENTION: ces bouteilles chiffrées et millésimées ont fait l’objet de débats et sont actuellement considérées comme des faux … la gravure serait faite à l’aide d’un outil électrique! Ses écrits et les objets de fouille publiés continuent donc d’attester les goûts du Président des États-Unis pour les vins français mais les bouteilles illustrées ci-dessus sont … trop belles pour être vraies! (7 sept. 2014, merci à Geoffrey Luff d’avoir attiré mon attention sur ce débat qui semble maintenant tranché!)
Voici quelques clichés d’une bouteille du type frontignane, malheureusement dépourvue de la prestigieuse signature: le fût est tronconique avec un épaulement assez large, la bague de col est robuste et le pontil porte une cicatrice circulaire (« disc pontil »). Hauteur: 30 cm pour une contenance de quasiment 1 litre.
Une autre bouteille de ce type est illustrée dans le catalogue de l’exposition « L’âme du vin chante dans les bouteilles » (Bordeaux, 2009), n°44, p. 118 (voir biblio).
L’étape suivante, dans l’évolution de la bordelaise, verra le diamètre de l’épaulement se réduire pour en arriver progressivement, dans la 1ère moitié du 19ème, au fût cylindrique que nous connaissons toujours aujourd’hui.
Et, pour finir, les nostalgiques des frontignanes de Jefferson pourront se procurer une reproduction artisanale de l’une d’entre elles 🙂
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