Vin d’Alsace et du Rhin en bouteilles, vers 1830

English summary below

J’accueille avec plaisir cette contribution d’Yves Boileau, sur un rare tarif de vins d’Alsace et du Rhin, vers 1830

Il faut rappeler d’abord que la vente de vins en bouteilles n’a été admise en France que tardivement. C’est en effet un édit royal du 25 mai 1728 (signé par le Régent du Royaume de Louis XV) qui l’autorise.

J’ai déjà présenté un rare formulaire de tarif des vins bourguignons au tout début (1810) du 19ème siècle (Maison Maire & Fils, de Beaune), qui confirme ce type de commercialisation et cette pratique. Les prix de vente à l’unité (par bouteille, de contenance … un peu incertaine) y sont mentionnés pour différentes années de récolte depuis 1810. Mais près d’un siècle après le feu vert royal, la vente en bouteille semble encore peu répandue en France.

J’ai acquis récemment un carton tarifaire semblant assez contemporain du précédent, mais qui concerne une toute autre région vinicole, l’Alsace. Il a été lithographié avant 1830 pour le compte d’un négociant local du nom de Louis FAVRE, de Ribeauviller (sic), dont le beau-fils F. Jöranson assurait alors la représentation. Ce négociant et propriétaire semble connu par ailleurs pour avoir été le seul à vendre à l’époque toute sa production de vins fins « en bouteilles ». Il exposa encore ses produits vinicoles à l’Expo Universelle de 1867, à Paris.

Bien que ce modeste carton – sans doute destiné à être complété par l’indication manuscrite des prix des flacons proposés – soit vierge de toute valeur chiffrée, je le trouve intéressant à plus d’un titre :

  • Les millésimes présentés sont peu nombreux : quatre années seulement y figurent, dont la plus ancienne (l’année 1811, de très bonne réputation sur ces terroirs), est sans doute la première de celles qui furent commercialisées par FAVRE. Le millésime 1827 atteste que ce tarif a été édité probablement juste après cette date.
  • Les crus de vins blancs qu’il liste semblent ne comporter que des appellations à connotation « germanique » : Markobrunner (celui du millésime 1811), Johannisberger, Geisenheimer, Rudesheimer, Hoshheimer, Zahnacker, Tokay sec et Tokay doux. La plupart sont des vins du Rheingau, région bordant la rive droite du fleuve, non loin de Francfort (Hesse). Seul le Zahnacker pourrait provenir de vignobles de cépages Riesling établis vers Ribeauvillé, à moins qu’on y cultive aussi du Tokay…
  • Le catalogue de la maison comporte en outre des « liqueurs fines » à la mode en ce temps, et qui nous paraissent désuètes de nos jours. Certaines viennent de la Forêt-Noire (Kirschenwasser), d’autres des Pays-Bas (Curaçao et Anisette !). L’absinthe (sic) est suisse, et l’Eau de noyaux, elle, arrive tout droit de Moselle, ce département de notre ex-Lorraine.
  • Enfin, fait remarquable, cette carte tarifaire plutôt précoce est marquée du nom du lithographe de Strasbourg qui en a assuré la réalisation : « E. SIMON ». A ce jour, on n’a pas encore repéré le parcours de ce professionnel, ni sa période et ses domaines d’activité. On sait seulement qu’il a aussi réalisé plusieurs étiquettes de vins fins produits en Alsace. Serait-ce le graveur et lithographe strasbourgeois Frédéric Emile SIMON (1805-1886) ? Ou son père ?

Référence :

« L’étiquette du vin d’Alsace », par Roland MOSER, chez Jérôme/Do Bentzinger Editeur, Impression EDAC Colmar (160 pages).

Une bouteille de vin d’Alsace ou du Rhin, vers 1820. Dans ce cas, la bouteille porte un motif peint « Hollands » qui indique qu’elle devait plutôt contenir du gin. Toutefois, les bouteilles de vin d’Alsace devaient avoir cette forme élancée et cette teinte ambrée, caractéristique des bouteilles françaises soufflées dans l’Est du pays.

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Bottled wine from NE France and the Rhine Valley, Germany, c. 1830 (invited paper by Y. Boileau)

English summary

I am pleased to post this paper by Yves Boileau, on an early 19thC pricelist for wines from NE France (Alsace area) and the Rhine Valley, Germany.

The author presents a rare and early pricelist for Alsace and Rhine valley white wines. The document is dated c. 1830 and is published by the wine merchant L. Favre, at Ribeauvillé. Favre reputedly sold his fine wines in bottles, which was yet relatively uncommon at the time. It is worth reminding that the permission to sell bottled wine in France was granted in 1728 only by the French Regent, Philippe duke of Orleans.

The pricelist includes 4 vintages only, from 1811 (a fine year in this area) to 1827. Most of the wines offered by Favre have German names – Markobrunner (vintage 1811), Johannisberger, Geisenheimer, Rudesheimer, Hoshheimer, Zahnacker – and were actually German white wines from the Rheingau area (Rhine Valley), near Frankfurt am Main. The Zahnacker and the two Tokay (dry and sweet) were probably French Alsace wines, made from the reputed Riesling grapes which is growing at Ribeauvillé. The spirits offered in the pricelist come from Germany (Kirschenwasser or Kirsch), the Netherlands (curacao and anisette), Switzerland (absinthe) and France (eau de noyaux, kernels spirit.

The pricelist has been lithographed by E. Simon in Strasburg. Little is known on this lithographer who also printed wine labels at the time.

Fig.2. An Alsace or Rhine wine bottle, c. 1820. This specific bottle has a painted label reading « Hollands » which indicates that it probably contained gin. However, contemporary bottles for Alsace and Rhine valley wines probably also had this tall slender shape and amber-coloured glass, characteristic of the French bottles blown in Eastern France.

5 réponses à “Vin d’Alsace et du Rhin en bouteilles, vers 1830”

  1. Avatar de Serge ADAM
    Serge ADAM

    Belle bouteille de vin du Rhin, j’en possède plusieurs exemplaires qui ressemble à celle-ci (j’en possède aussi de couleur bleue que je pense de fabrication allemande).
    La maison Favre et Jöranson, était des négociants en vins ayant remporté plusieurs médailles d’or pour leur vins fins du Rhin, mais aussi apparemment réputé pour leur Kirch, j’ai retrouvé sur gallica dans le Journal d’agriculture pratique de jardinage etc… daté de janvier 1866 cet article les concernant: « Contrairement à ce qui se voit trop souvent, l’exposition des produits agricoles et matières utiles à l’agriculture brillait d’un vif éclat, je reprochais il y a peu de jours à la vineuse Bourgogne d’avoir fui devant la lutte à Auxerre. A Strasbourg, les vins du haut et du Bas Rhin appelaient hautement l’attention par leur nombre autant que par leur bon choix MM. Reysser, Favre et Jöranson, Prost, Vianello, et plusieurs autres encore, ont relevé l’ancienne renommée de ces crus ambrées un peu en défaveur depuis quelques années. En outre, grâce aux efforts de ces hommes dévoués, le Kirch d’Alsace rivalise avec le kirch de Forêt Noire, et l’on comprendra l’importance de cette nouvelle industrie, lorsque j’aurai dit que la maison Favre et Jöranson livre à elle seule, de 50000 à 60000 litres de Kirch chaque année. »
    Dans Mémoires d’agriculture etc… daté de 1862, voilà ce que l’on peu lire sur la maison Favre et Jöranson:  » MM. Favre et Jöranson de Ribeauvillé, ont exposé une collection de vins dits vins fins du Rhin dans laquelle on a remarqué particulièrement les variétés suivantes: Des vins de Tokay secs de 1834 et de 1857. Des vins dits Edelwein du Haut Rhin de 1822 et de 1834.
    Le vin le plus apprécié a été le vin désigné sous le nom de Tokay sec et de l’année 1834. »
    Même si la maison Favre et Jöranson vendait des bouteilles de vins des régions allemandes, il est certain quelle en vendait aussi de leur région, au moins jusqu’en 1871 avant que la France ne perde l’Alsace et une partie de la Lorraine.

    1. Avatar de Thierry De Putter

      Merci Serge pour cette ode au kirsch et au vin d’Alsace 😉 … Dommage que nous n’ayons pas les prix des vins sur le tarif d’Yves … on aurait pu les comparer à ceux en vigueur dans d’autres régions. Cela aurait été d’autant plus intéressant que la note ci-dessus mentionne que ces « crus ambrées [étaient] un peu en défaveur depuis quelques années » … cela se marquait-il sur les prix?

      1. Avatar de Serge ADAM
        Serge ADAM

        Peut être une réponse, toujours gallica, il y a sur ce site la carte du restaurant « Rajat » successeur de Véfour jeune Palais Royal, 108:
        Markobrunner= 10fr le litre
        Johannisberger= 15fr et 20fr le litre
        Rudesheimer= 10fr le litre
        vins de liqueur: Tokay, la demie-bouteille= 24fr
        Kirschenwasser= 40c le verre
        Hélas pas de date mais un tampon sur certaines pages Bibliothèque Royale, et de plus il faudrait la marge que ce faisait le restaurant sur ces bouteilles.
        Vu aussi dans les romans de Erckmann et Chatrian: « L’ami Fritz », « L’Alsace et les Alsaciens », qui vente ces vins voici un extrait de ce dernier roman: « ; et le markobrunner de 1715, et l’offenthal de 1804, et le rudesheim de 1770, »que mon pauvre père aimait tant »_ et moi aussi !_ et le johannisberg des capucins sans date,_ oui « sans date »; ce qui vaut encore mieux que le « sans dot » ! d’Harpagon…
        Ah ! ah ! johannisberge des capucins ! « 

  2. Avatar de Malengreaux jean-paul
    Malengreaux jean-paul

    Bonjour,

    Voici une référence littéraire qui peut intéresser,

    Dans l’Ami Fritz (1864) d’Erckmann-Chatrian, editions Jean-Jacques Pauvert, 1962, tome 5 :
    P. 17
    (Après avoir traversé la cave à « fûts cerclés de fer, rangés sur de grosses poutres le long des murs » ) … « Au premier tournant, et comme il allait entrer dans la seconde cave, sa vraie cave, la cave des bouteilles, il s’arrêta pour moucher la chandelle… »

    « Tout le long de la cave, s’étendaient des rayons, et sur ces rayons étaient couchées des bouteilles dans un ordre admirable. Il y en avait de toutes la années, depuis 1780 jusqu’en 1840. La lumière des trois soupiraux, se brisant dans les lattis, faisait étinceler le fond des bouteilles d’une façon agréable et pittoresque.
    Kobus entra.
    Il avait apporté un panier d’osier à compartiments carrés, une bouteille tenant dans chaque case; il posa ce panier à terre, et, la chandelle haute, il se mit à passer le long des rayons. La vue de tous ces bons vins, les uns au cachet bleu, les autres à la capsule de plomb, l’attendrit

    P 24 (l’Ami Fritz, Kobus, dresse la table)
    « Maintenant les verres : à droite, celui du bordeaux pour commencer; au milieu, celui du « rudesheim » et ensuite celui du « johannisberg des capucins » »

    «Ah! Le vin  Comme il fait chaud, nous le mettrons rafraîchir dans un baquet sous la pompe, excepté le bordeaux qui doit se boire tiède »

    1. Avatar de ADAM
      ADAM

      Effectivement intéressant Jean Paul,
      Chatrian, connaissait bien les verriers, et les verreries, en effet il est né au lieu dit Soldatenthal, Grand Soldat en français commune d’Abreschviller, où son père y était verrier, il est issu de familles verrières, autant par son père que par sa mère

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